Nathaniel Rich raconte dans Perdre la terre, comment les Etats-Unis, conscients de longue date du changement climatique, ont néanmoins torpillé le premier accord international sur le climat pour défendre leurs intérêts économiques.
Vous avez choisi de nous parler aujourd’hui d’un livre, intitulé Perdre la terre, et qui explique comment l’impuissance de la communauté internationale en matière climatique a été planifiée, organisée. Alors que se tient en ce moment, à Metz, une réunion du G7 environnement, il était intéressant de revenir sur cet ouvrage de l’essayiste américain Nathaniel Rich, qui rappelle la fois où l’humanité aurait pu se sauver, avant de reculer.
L’auteur explique ainsi qu’au tournant des années 80, aux Etats-Unis, une majorité de l’opinion est favorable à la mise en oeuvre de politiques de protection de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique.
Une conscience et un intérêt de la société américaine pour les questions climatiques que l’auteur attribue au travail et à l’engagement du géophysicien Gordon Macdonald et de l’écologiste Rafe Pomerance, qui ensemble ont bataillé sans relâche pour que les Etats-Unis prennent la tête de la croisade contre le dérèglement climatique.
Et dans un premier temps, cela semble fonctionner : même les dirigeants américains s’engagent publiquement pour cette cause. Une majorité d’élus du Congrés, républicains comme démocrates, sont alors convaincus de la nécessité d’agir : pas moins de 32 projets de loi relatifs à la question climatique sont ainsi déposés pour la seule année 1988. Même à la Maison blanche, George Bush senior, tout juste élu, promet de jouer « un rôle moteur » dans la lutte contre l’effet de serre.
Dans ce moment d’unanimisme général, les géants du pétrole eux-même, reconnaissent leur rôle dans les « énormes quantités de dioxyde de carbone » relâchées dans l’atmosphère et préviennent qu’ils sont « prêts à s’engager dans une transition raisonnable et progressive vers les énergies renouvelables ».
Mais Nathaniel Rich raconte surtout comment ces espoirs se sont effondrés le 6 novembre 1989. Ce jour-là se tient à Noordwijk, aux Pays-Bas, le premier grand sommet sur le réchauffement climatique. Plus de soixante pays doivent se prononcer sur la politique à mener pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et une proposition semble faire consensus : celle de geler les émissions de carbone pour les dix ans à venir.
Mais cet objectif est torpillé en bonne et due forme par le représentant américain, avec l’appui des puissances japonaises, britanniques et soviétiques. Dans le secret de la salle de négociation, le conseiller scientifique de Bush père fait capoter des semaines de négociation et sacrifie le climat sur l’autel de la croissance.
Derrière les positions de principe, pas question de voir remise en cause la suprématie économique des Etats-Unis et de ses entreprises. Oubliés donc les promesses en matière de lutte contre le réchauffement climatique, les engagements en faveur de l’environnement. Il faut dire que cela fait des mois que les principales entreprises du pays mènent une campagne acharnée au sein d’une organisation intitulée -ironie de l’histoire- Coalition Globale du climat. Une coalition, créée de toute pièce par l’Institut américain du pétrole, tout puissant lobby des énergies fossiles outre-Atlantique.
Ce sont ainsi des millions de dollars qui sont dépensés pour mener de véritables campagnes de désinformation, acheter des scientifiques, ou encore commander des contre-enquêtes favorables à leur cause. Les écoles ne sont pas non plus épargnées, où l’on commence à enseigner le doute et la remise en cause des évidences scientifiques.
Une action d’influence qui se poursuit en réalité tout au long des années 1990, avec en ligne de mire les accords de Rio en 1992 ou encore le Protocole de Kyoto en 1997. Autant de réunions de la dernière chance, sabordées par les Etats-Unis et leur refus de s’engager dans une croisade contre leurs intérêts.
Ce n’est qu’en 2002 que la Coalition est dissoute, après avoir durablement influencé des millions d’Américains et causé le retard irrémédiable dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui face au changement climatique.
Mais si cette coalition a disparu il y a près de 20 ans, pas sûr que l’état des forces ait aujourd’hui vraiment changé tant on perçoit l’incapacité de nos gouvernements à mettre en oeuvre les politiques pour faire face au grand dérèglement.
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