FRED VARGAS : L’HUMANITE EN PERIL Virons de bord, toute !

La romancière consacre un essai alarmant – et malheureusement convaincant – au réchauffement climatique. 

Elle dit « je suis hantée » et on est certain qu’elle l’est. Fred Vargas parle, parle, ses mains s’agitent, elle penche sa tête en avant, en arrière, parfois elle s’arrête pour allumer une cigarette sur laquelle elle tire des grandes bouffées et qu’elle écrase à moitié fumée. Le temps dont on dispose ne suffira pas pour raconter tout ce qu’elle doit nous dire, pour nous expliquer que « si on ne fait rien, l’humanité, à cause du réchauffement climatique, est en péril ». Elle est saisie par l’urgence de prévenir avant qu’il ne soit trop tard. « On est complètement désinformé, tout le monde sait que la Terre chauffe, que l’eau est polluée, on perçoit les généralités, mais on ne sait pas ce qui se passe en vrai. Or, si, une fois informée, la personne reçoit un choc, après vient l’acceptation, puis la réaction, l’action et la lutte », espère-t-elle. Célébrée dans le monde entier pour ses romans policiers, Fred Vargas est une femme engagée. Longtemps elle s’est battue pour Cesare Battisti avec qui elle correspond encore. « J’ai fait une enquête qui conclut à son innocence », clame-t-elle. De sa prison sarde, le romancier italien a depuis lors reconnu sa responsabilité dans quatre meurtres. « Je ne sais pas pourquoi il a fait des aveux, ça le regarde, dit-elle, moi j’en reste à mes conclusions. Mes amis m’ont dit : “Tu es trop fière pour admettre t’être trompée.” C’est faux, je suis éprise de vérité et pas très éprise d’orgueil. » Elle assure que cela vient de loin, qu’enfant elle était déjà sensible à deux choses : « la falsification de la vérité » et « l’injustice ». Elle ajoute : « Je tannais mon père de questions. “Mais est-ce que c’est vrai ça ? 


Dans six ans, des millions de gens vont mourir

Aujourd’hui, ce qui l’amène, c’est le réchauffement climatique. Ecolo, elle l’a toujours été. « On ne disait pas comme ça à l’époque », sourit-elle. « J’avais 20 ans et déjà j’étais préoccupée par le nucléaire, par ces mortels déchets qu’on enfouit. » Frédérique Audoin-Rouzeau, son nom à la ville, a été longtemps chercheuse au CNRS. Archéozoologue, elle réfléchissait aux liens entre l’homme et l’animal. Pour ses recherches, elle a reçu, très jeune, la prestigieuse médaille de bronze du CNRS. Son travail principal ? « Un pavé sur l’épidémiologie de la peste que j’ai fait en croisant sept disciplines », dit-elle. Un tiers de l’humanité y a succombé. Et c’est le mieux, assure-t-elle, de ce qui nous attend si nous ne changeons pas nos modes de vie.

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A la Cop 24, « nos dirigeants n’ont ni écouté le rapport incontestable du Giec, ni les propos d’Antonio Guterres, secrétaire général de l’Onu, qui annonce “la plus grande tragédie qu’ait vécue l’humanité” ». Alors, devant cet échec, une nuit, poussée par « une sorte de nécessité implacable », elle a pris la plume.

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Fred Vargas est retournée à ses recherches, à raison de douze heures par jour. Un travail colossal qu’elle a retranscrit dans un style alerte et drôle – « Je tâche de ne pas lasser mon lecteur ! » –, même si ce qu’elle a découvert est au-delà de l’inquiétant : « En 2025, les trois quarts de l’humanité seront en pénurie d’eau ! Dans six ans, des millions de gens vont mourir », prédit-elle ainsi. Les responsables, elle les connaît, ce sont « nos dirigeants et les lobbys unis dans une obsession névrotique, pathologique de la course à l’argent ». Elle qui, dans ses romans, traque la peur, nous plonge, avec cet essai, dans des abîmes d’effroi.