Le haut conseil pour le climat frise la révolution

Le Haut Conseil pour le Climat frise la Révolution

Le premier rapport du tout neuf Haut Conseil pour le Climat n’a pas reçu l’accueil qu’il mérite. Sous son vocabulaire châtié et son style technocratico-compatible, il cache des propositions qui frisent la Révolution. 

Corine Le Quéré, climatologue franco-canadienne, en poste au Royaume-Uni, préside le Haut Conseil pour le Climat.

Le Haut Conseil pour le climat a été mis en place par Emmanuel Macron le 27 novembre 2018. Ses membres sont tous compétents sur le sujet. Et leur premier rapport annuel déménage, dès lors qu’on sait le lire. Ce qui n’a rien d’étonnant puisque ce texte est en ligne avec le dernier rapport du GIEC. Ce dernier l’affirmait déjà, seules des politiques de ruptures – économiques, sociales, culturelles, techniques… donc politiques – peuvent nous conduire sur la trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre compatibles avec l’objectif climatique adoubé par les Nations à la COP-15 de Copenhague, ne pas dépasser 2°C d’élévation de la température planétaire relativement à période pré-industrielle.

Extrait du rapport du Haut conseil pour le climat.

Prenons la première de ses recommandations législatives. «Rendre les  budgets carbone de la SNBC (stratégie nationale bas carbone) contraignants vis-à-vis de l’ensemble des textes de loi qui devront alors montrer leur compatibilité avec ces budgets.» Les conseillers climatiques font court, mais fort. Réaliser véritablement cette petite phrase, signifie jeter tous les indicateurs de la Loi organique relative à la loi de finance (la LOLF) à la poubelle et les remplacer par un indicateur prioritaire : la compatibilité avec le budget carbone de la Stratégie nationale bas-carbone. 

Une loi de finance anti-climat

Est-ce révolutionnaire ? Il suffit de commencer l’exercice. La loi de finance est-elle climato-compatible par les impôts qu’elle organise ? Non, répond dans son langage châtié le HCC avec sa recommandation n°4 : «la transition bas-carbone doit être juste et perçue comme telle pour que les actions soient durablement soutenues par l’ensemble de la société». Or, l’une des causes du changement climatique est le consumérisme qui ravage notre société, sous les coups de boutoirs d’une publicité qui colonise les imaginaires. Ce consumérisme est alimenté par un moteur rugissant : les inégalités indécentes de revenus et de patrimoine. Il faut donc supprimer les plus élevés.

La quatrième recommandation du Haut Conseil pour le Climat dans son premier rapport.

Propos de marxiste au couteau entre les dents ? Nenni. Voici l’argumentaire, présenté par l’économiste Thomas Piketty, dont les choix politiques sont plus souvent roses que rouge : «Pourtant tout indique de plus en plus clairement que la résolution du défi climatique ne pourra se faire sans un puissant mouvement de compression des inégalités sociales, à tous les niveaux. Avec l’ampleur actuelle des inégalités, la marche en avant vers la sobriété énergétique restera un vœu pieux. D’abord parce que les émissions carbone sont fortement concentrées parmi les plus riches. Au niveau mondial, les 10 % les plus riches sont responsables de près de la moitié des émissions, et les 1 % les plus riches émettent à eux seuls plus de carbone que la moitié la plus pauvre de la planète. La réduction drastique du pouvoir d’achat des plus riches aurait donc en tant que telle un impact substantiel sur la réduction des émissions au niveau mondial. Par ailleurs, on voit mal comment les classes moyennes et populaires des pays riches comme des pays émergents accepteraient de changer leur mode de vie (ce qui est pourtant indispensable) si on ne leur apporte pas la preuve que les plus aisés sont mis à contribution. La séquence politique observée en France en 2017-2019, étrangement absente de la campagne, apporte une illustration dramatique et emblématique de ce besoin de justice

Thomas Piketty vous défrise ? Alors lisez cet autre argumentaire, présenté par trois économistes de l’Agence Française de Développement  :  «Les inégalités de consommation représentent aussi un moteur de comportements de consommation intensifs en carbone. On sait en effet que le désir d’imiter un comportement social jugé supérieur constitue l’un des déterminants principaux des motifs de consommation, un phénomène de mimétisme qui accélère la dynamique d’émissions intensives quand la référence est celle du dernier percentile, c’est-à-dire des 1 % les plus riches.» Cet article dont je vous recommande la lecture note bien d’autres effets anti-politique climatique sérieuse des inégalités sociales.

Règle d’or budgétaire

Donc, si l’on prend au sérieux la proposition du Haut Conseil pour le climat, et que l’on fait de l’indicateur climatique une règle d’or budgétaire et législative, la loi de finance actuelle est à recaler. Comme toute future loi de finance qui n’organisera pas la réduction drastique des inégalités, laquelle ne peut se faire qu’en rabotant – mais avec un rabot très aiguisé et coupant très profond – tout ce qui donne envie de copier les riches… en les supprimant (comme riches, inutile de s’attaquer aux personnes). Est-ce révolutionnaire ? A chacun de juger.

De nombreux autres points du rapport du Haut Conseil pour le Climat sont de même acabit. Cinglant pour les politiques actuelles, dévastatrices pour les tenant d’un statu quo, voire de petits pas tellement petits qu’on n’avance pas du tout.

Extrait du rapport du Haut Conseil pour le Climat.

Prenons un deuxième exemple : les échanges internationaux dont la signature récente de l’accord Union Européenne/Mercosur montre une fois de plus que les élites formées à HEC et à l’ENA qui gouvernent n’ont toujours pas imprimé le message du GIEC à cet égard. Le rapport du HCC tient un langage de vérité sur la responsabilité de la France dans les émissions de gaz à effet de serre à l’origine du changement climatique. Il rompt avec l’hypocrite présentation qui ne tient compte que des émissions territoriales, ou nationales. Hypocrite car elle permet d’afficher une vertu inexistante : selon cette présentation, la France a en effet diminué d’environ 15% ses émissions de GES depuis 1990. Mais, souligne le HCC, ce qui compte vraiment c’est l’empreinte carbone, c’est à dire une comptabilité des émissions qui tient compte de celles induites par tous les objets importés, déduction faites de celles liées aux objets exportés. Or, la désindustrialisation du pays est si profonde (la part du PIB consacré à l’industrie a chuté à 10%), et les importations d’objets manufacturés ont si augmenté, que l’empreinte carbone des Français à augmenté de 20% entre 1995 et 2015. Les émissions dues aux importations égalent en effet désormais 60% des émissions territoriales.

Souligner ce point crucial, c’est condamner toute politique poursuivant ces importations massives. C’est relocaliser en France le maximum possible de production d’objets manufacturés. Avec un double effet kiss cool : comme l’électricité française utilisées par les usines est décarbonée à plus de 90% cela  provoquera une diminution nette des émissions et non seulement leur rapatriement.

Combien de jus ?

Troisième exemple : l’électrification des transports. Comme le souligne le rapport : «Le scénario de la SNBC propose une électrification importante des usages de l’énergie (transport, procédés industriels, chaleur…), sans expliciter les conditions opérationnelles d’atteinte de ces objectifs. Les hypothèses du scénario de référence sont fortes : 100 % de voitures neuves sont électriques
(ou à hydrogène) dès 2040, électrification de nombreux procédés et  utilisation d’énergies renouvelables dans le secteur de l’agriculture ou encore un taux d’électrification de 70 % des consommations du secteur de l’industrie en 2050. Ce scénario présente des risques compte tenu des limites potentielles liées à la production d’électricité (essor des renouvelables, réduction prévue de la production nucléaire, recours aux centrales alimentées par des énergies fossiles en situation de stress tels que  durant les pics de demande ou de perte temporaire de capacités de production décarbonées), des contraintes techniques, économiques, géostratégiques et environnementales liées à la fabrication et l’utilisation de batteries, ou encore du temps de mutation nécessaire pour la mise en place de l’infrastructure et des réseaux nécessaires à l’électrification du transport.» En clair, le HCC dit au gouvernement que son objectif vertueux n’est pas atteignable sans mise en cause de la baisse programmée de la production nucléaire et sans une accélération considérable de tout ce qui tourne autour de la voiture électrique (batteries, bornes de rechargement, etc).

Députés et gouvernants inéligibles

Extrait du rapport du Haut Conseil pour le Climat.

J’invite les internautes à méditer le texte du Haut Conseil pour le climat, remarquable de clarté dans son exposé du constat et des enjeux de décisions. Mais il serait possible d’y ajouter une proposition complémentaire à sa demande majeure : «Rendre les  budgets carbone de la SNBC (stratégie nationale bas carbone) contraignants vis-à-vis de l’ensemble des textes de loi qui devront alors montrer leur compatibilité avec ces budgets.» En effet, ce sont les députés qui votent le budget et les gouvernements qui le proposent et l’exécutent qui sont responsables d’assurer cette contrainte. Mais s’ils échouent, que leur arrive t-il ? Rien. C’est là une faille dans le dispositif.

La première recommandation du rapport du Haut Conseil pour le Climat.

Aussi, rendre efficace la proposition n°1 du HCC (ci-contre) suppose que l’on y ajoute un élément décisif avec une conséquence mécanique pour les élus – députés, sénateurs, Président de la République – et gouvernants qui auraient échoué à atteindre l’objectif climatique fixé par la loi et nos engagements internationaux. Cet élément pourrait être celui-ci : si, en fin de mandat, on constate que les émissions de GES ont dépassé les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone, alors, les députés, sénateurs, Président de la République sont inéligibles à l’élection qui suit et les membres du gouvernement sortant sont inéligibles et interdits de nomination comme ministres. Cette mesure de salut public serait, au moins dans un premier temps, un très efficace moyen de renouvellement des élites…

Sylvestre Huet

► sur le premier bilan de la Stratégie nationale bas-carbone, lire cette note « politique climatique, erreur française, fraude des mots« .