HISTOIRE DE LA PRISE DE CONSCIENCE ECOLOGIQUE

 Extrait du mémoire de Elise Roche 

1  De la naissance de l’écologie à la naissance d’une éthique environnementale

 

       1.1 De la naissance de l’écologie à la prise de conscience de l’urgence écologique

 

                 1.1.1 -  La prise de conscience  écologique

 

            La prise de conscience écologique, on l’a vu dans l’introduction, doit beaucoup aux avertissements catastrophiques que nous envoie le dérèglement climatique. L’heuristique de la peur, comme le dit Hans Jonas devient alors le moteur d’une prise de conscience qu’il nous faut sauver ce qui peut l'être encore. En revenant plus loin sur la constitution de l’idée écologique nous  découvrons  qu’avant de reposer sur la crainte, la prise de conscience écologique s’est d’abord enracinée dans un changement radical de vision sur la nature advenue au XVIIe siècle. Dans son  livre, non traduit, « Moutain gloom and moutain glory » [1], retrace de quelle façon à la suite du développement des sciences et notamment de l’astronomie au XVIIe siècle,  la perception des montagnes a radicalement changé. Les montagnes, crevasses, excavations et cavernes étaient alors perçues comme les témoignages d’un monde déchu postdiluvien. C’est le péché de Adam et Eve qui avait, dans l’esprit du XVIIe siècle  provoqué la déchéance d’une terre auparavant parfaitement régulière, polie sans montagne, fonds marins ou quelques excavations que ce soient. Dieu en inclinant l’axe du monde de quelques degrés aurait ainsi fait sortir la terre et l’homme du printemps éternel et provoqué l’apparition des intempéries, des maladies et de la mort … La découverte  par Galilée et ses fameuses lunettes astronomiques des montagnes de la lune avait  contraint ses contemporains a envisager les montagnes terrestres non plus  comme une conséquence d’une faute théologique mais comme un événement géologique. 

 

            1.1.2 - Ainsi, c’est chez les naturalistes que l’idée écologique va graduellement faire son apparition : 

 

                        1.1.2.1  -Les naturalistes pionniers

 

C’est au XVIIIe siècle que le naturaliste suédois Carl Von Linné ouvre la voie de l’écologie par l’évocation d’un système de nature. S’inspirant de la formule bien connue du juriste Edward Coke «  la connaissance des choses périt par l'ignorance du nom », celui-ci démarre un travail de classification et de hiérarchisation des espèces. Le nom  du grec éco (oikos) maison et de logie  (logos) à la fois discours, parole et science, l’écologie se définit en tant que le discours et la science de la maison. D’après le dictionnaire le Littré, l’écologie est ainsi aujourd’hui  la science dont l’objet d’étude est la relation entre un être vivant et son environnement naturel. Par extension, c’est le fait de se préoccuper de la survie et du bien-être des espèces en fonction des changements (climatiques notamment) du milieu au sein duquel elles vivent.

 

 A la suite des travaux fondateurs de Linné, et d’autres tel Buffon, c’est sans doute aux nombreuses expéditions naturalistes de la seconde moitié  du XVIIIe siècle que l’on doit le franchissement d’une nouvelle étape vers l’avènement de l’écologie, à laquelle les tableaux de la nature et les esquisses de « cosmologie » d’Alexander Von Humboldt apportent une contribution déterminante. Par l’étude son environnement, il croque les plantes et définit les liens entre les mondes des vivants et du non-vivant dans son  Essai  la Géographie des plantes. C’est les prémices de la géobotanique. 

 

                          1.1.2.2 - L’apparition de la notion d’équilibre entre les espèces vivantes 

 

S’ensuivent  les travaux de Darwin et d’Alfred Russel Wallace (en 1859) et l’énoncé de la théorie de l’évolution  qui introduit la notion de population et l’explication de l’équilibre entre les espèces par la lutte pour l’existence et la sélection naturelle intra et interspécifique.

 L’année 1866 est déterminante puisque c’est à ce moment qu’est théorisé le néologisme écologie

Ainsi dans son ouvrage Morphologie générale des organismes, le zoologiste et embryologiste allemand darwinien Ernst Haeckel à la fin du XIXe siècle définit l'oekologie comme «  la science des relations des organismes avec le monde environnant, c’est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d’existence ».  «  Nous entendons par écologie  la science des relations des organismes avec le monde environnant, auquel nous pouvons rattacher toutes les conditions d’existence au sens large. Ces dernières sont de nature organique ou inorganique et jouent toutes, comme nous l’avons montré précédemment, un rôle prépondérant dans la conformation des organismes car elles les contraignent à s’adapter à elles. »   

C’est dans le giron de la géographie botanique que se déploie ensuite l’usage scientifique du mot écologie. Le Danois Eugen Warming apporte ainsi une pierre essentielle à l’édifice en construction de l’écologie scientifique, à tel point que certains le considèrent comme le vrai père de l’écologie. Celui-ci identifie des « facteurs écologiques » et analyse leurs effets sur la cohabitation des communautés végétales. Il intègre l’écologie à son traité de botanique générale    Lehrbuch des Oekologischen Planzengeographie (Manuel de géographie des plantes) en 1896 dans lequel il montre que l’étude des formes de végétation requiert l’analyse de l’adaptation des plantes, notamment en termes de  structures et de physionomie, à leur environnement. L’identification par Warming de  « facteurs écologiques » et de leurs effets sur la cohabitation des communautés végétales participe ainsi du processus d’instauration de l’écologie comme théorie à part entière, qui s’ancre progressivement dans les modes de pensées des sciences de la nature.

Parallèlement, l’étude de la dynamique des pollutions rendue nécessaire par la lutte contre les animaux ravageurs,  aux conséquences économiques très importantes, suscite l’avènement d’une écologie animale. Charles S Eton écrit  que l’écologie animale  apporte une aide considérable pour le contrôle biologique des populations animale, initiée  dès  la fin du XIXe siècle par l’entomologie appliquée de l’Américain Charles V. Riley qui  fut  décoré en 1884 de la légion d’honneur pour sa contribution à la lutte contre le phylloxera.

D’autre part, on doit au botaniste américain Fredéric Edaward Clements la première synthèse des différents aspects de l’écologie développés jusque-là en parallèle, l’écologie expérimentale qui prélude à l’écologie des systèmes dont la naissance peut être datée en 1940 avec les travaux pionniers de Raymond L Lindeman. Au début du XXe siècle de nombreuses sociétés de défense de la nature sont créées. 

Au début du XXe siècle, dans  le sillage historique des grandes expéditions naturalistes du XVIIIe siècle,  Jean-Baptiste Charcot et Jacques Liouville explorent l’Antarctique et révèlent l’impact de l’activité humaine sur les espèces sauvages et tout particulièrement sur les grands cétacés des régions australes au sujet desquels ils rapportent des observations lors de la seconde expédition de 1908-1910. 

Les travaux de Charcot et Liouville contribueront  à la tenue plusieurs fois avortée du premier congrès international de protection de la nature à Paris en 1923. 

Enfin, c’est le naturaliste allemand Jacob Von Uexküll  (1864-1944) qui met le premier, vers 1880,  en perspective  la notion « d’umwelt » de milieu écologique, d’environnement commun avec les mondes animaux.

 

 

 

           

       1.1.2- La prise de conscience de l’urgence écologique  

 

               1.1.2.1 - La prise de conscience écologique au sortir de la 2ème guerre mondiale : « la guerre écologique » :

 

Proche et insaisissable, l’écologie est donc une discipline scientifique déjà centenaire. On peut historiquement dater la prise de conscience généralisée dit "âge écologique" par l’historien américain Donald Worster à la seconde guerre mondiale, c’est-à-dire au 16 juillet 1945.  La guerre totale devient une guerre écologique, qu’elle soit la guerre chimique avec les gaz de combat utilisés durant la première guerre mondiale, le napalm et les défoliants déversés sur les Vietnamiens et les forêts pendant la guerre du Vietnam en passant par la guerre nucléaire avec Hiroshima et Nagasaki. L’environnement devient simultanément la cible et l’instrument de pratiques belliqueuses toujours plus destructrices. L’industrialisation effrénée en est le corollaire civil, source de pollutions et d’autres atteintes innombrables à la biosphère dont la dénonciation à partir des années 60 fait naître une prise de conscience mondiale.

Ainsi le premier grand texte véritablement écologique, au sens d’un cri d’alarme, avec le livre publié en 1949 par Aldo léopold , l’almanach du comté des sables [2], est -il  après la deuxième guerre mondiale Le printemps Silencieux[3] de l’américaine Rachel Carson qui dénonce dès 1962 l’utilisation massive du DDT, pesticide miracle, comme arme de destruction massive des écosystèmes et met donc en cause la fameuse « révolution verte » censée nous permettre de nourrir une population en grande augmentation démographique.

Plus tard, à l’instar du Printemps Silencieux, le biologiste américain Paul Ehlrich annonce lui l’épuisement des ressources comme un fait inéluctable dans son livre The Population Bomb  en 1968. Indissociablement, l’écologie véhicule une toute nouvelle conception du monde qu’il conviendrait de protéger. Ce thème auparavant confiné au travers de quelques théories scientifiques commence alors à se déployer  dans toutes les sphères intellectuelles et dans l’esprit du public.

 

 

              1.1.2.2 - La prise de conscience de la beauté et de la fragilité du globe terrestre à travers la première photo de la terre prise de la lune

 

C’est pourtant au début des années 70, le 7 décembre 1972, lors d’une mission spatiale Apollo  que l’on peut faire débuter une véritable prise de conscience publique. Les photographies de la terre prises sur la lune donne le sentiment d’une planète à la fois belle et fragile qu’il faut protéger. La terre considérée comme objet lointain et étranger devient alors « notre planète ». La prise de conscience opère : la terre n’est pas seulement belle, elle est aussi unique que parfaitement isolée dans la nuit de l’espace infini. Il faut la protéger : l’image devient vite un symbole pour les luttes environnementales qui prennent précisément leur essor dans ces années-là. Heureux hasard : la portion de terre photographiée met en valeur, non pas les Etats-Unis mais la corne de l’Afrique, partie du monde dans laquelle serait née l’humanité, il y a 250 000 ans.

 


Photographie Nasa 1972

 

Presque à la même époque (1971), les images du photographe Eugene Smith révèlent les effets de la pollution au mercure dans la petite ville japonaise de Minamata. Sa photo intitulée Le bain de Tomoko donnera à son reportage un retentissement mondial lors de sa parution dans Life l’année suivante. Sous la pression, le gouvernement japonais prendra des mesures pour indemniser les victimes. Entre temps, les employés de Chisso (entreprise responsable des dégâts) auront violemment pris à partie des manifestants (dont Eugene Smith qui perdra un œil sous les coups).

  

 

 

Face à une augmentation exponentielle des catastrophes écologiques d’origine anthropique, on assiste à l'éclosion des courants de pensées environnementalistes et à la fondation  de nombreuses  organisations défendant les droits d’une terre abusée et mourante. La prise en compte de ces problématiques devient politique. En juin 1972, s’organise la première conférence mondiale sur l’environnement de l’Organisation des Nations-Unies, dont est sorti le Programme des Nations-Unies pour l’environnement. La déclaration de Stockholm affirme dorénavant «  le droit de chacun de vivre dans un environnement sain, lui permettant de vivre dans la dignité et le bien-être ». Le désormais populaire Principe de Précaution porte le numéro quinze dans cette même déclaration. 

 

Peu de temps après en 1973, un philosophe norvégien du nom d’Arne Naess crée la Deep écologie. Il  se fonde  sur la critique de l’anthropocentrisme inhérent à une écologie dite « superficielle » et à la notion d’environnement qu’elle véhicule « terme qui lui apparaît dénué de sens, parce qu’il suggère un clivage très artificiel entre les êtres humains et tout le reste. La deep écologie préconise l’injonction à la restauration du lien ontologique entre homme et nature : «  c’est une erreur que de vouloir établir une hiérarchie entre les deux, parce que les humains ne sont simplement que des ego entourés par un monde indéfiniment éloigné de l’esprit humain. Il faut dépasser ce dualisme (…) notre Moi individuel constitue un point de vue à partir duquel nous pouvons contempler le Moi du monde. »*  (Arne Naess, communauté et style de vie Tr Charles Ruelle Paris, M FF Editions, 2013).

 

              1.1.2.3 - Le tournant du consensus scientifique sur l’origine humaine du dérèglement climatique et la découverte récente que nous serons peut-être les prochaines victimes de la 6ème extinction du vivant en cours 

 

Le phénomène de conscientisation écologique s’inscrit dans la durée. Comme le dit le philosophe géographe et orientaliste Augustin Berque: «  la conscientisation écologique suspend peu à peu le songe prométhéen de l’homme. »* [4] 

 

                            1.1.2.3.1 - L’évidence du réchauffement climatique s’impose à tous 

 

Ce n’est que récemment avec  l’établissement d’un consensus scientifique sur la responsabilité de l’activité humaine dans le  réchauffement climatique et  la divulgation des rapports du GIEC et  de modèles climatiques prévisionnels effrayants que la question environnementale commence à trouver un véritable écho dans le grand public et chez les politiques. Ces derniers, réunis à Paris en 2015 lors de la Cop21, ont finalement trouvé un début d’accord sur les moyens de diminuer le poids de l’activité humaine sur le climat en réduisant les rejets d’oxydes de carbone dans l’atmosphère. Mais même si cette conférence fut un bon départ et un réel début d’action, le compte à rebours continue et s’accélère.  Pour preuve récente le 2 août dernier (2017),  le réseau international de recherche annonce que le monde a officiellement épuisé les ressources naturelles produites en une année par la terre[5]. Même si depuis trois ans, nos émissions de CO2 diminuent au plan international, la date du jour du dépassement arrive de plus en plus tô

 

 

Ce constat d’urgence fait entre autre l’objet du prochain documentaire signé Bonni Cohen et Jon Shenk  An inconvenient sequel   (Une suite qui dérange dans sa version française) 

suite d’An Inconvenient Truth (Une vérité qui dérange) de Davis Guggenheim. An econvenient sequel dresse un tableau alarmiste de notre planète. En acteur principal, Al Gore, vice-président des Etats-Unis sous les mandats de Bill Clinton et candidat malheureux face à Georges Bush en 2000.  D’après les fiches du Cinéma, « Les limites du film sont certainement de privilégier le fond à la forme, et d’idéaliser Al Gore et son combat. Mais l’ancien vice-président américain, par son investissement de tous les instants, incarne parfaitement la lutte contre le réchauffement climatique, à un moment crucial pour la planète et où le président américain en exercice prétend ne pas considérer cette crise écologique comme un vrai problème… »  On notera enfin que la majeure partie du film a été tournée au cours de l’année 2015 alors que Al Gore préparait la COP21 à Paris. Cette édition fut vraiment déterminante pour l’avenir du réchauffement climatique. Très médiatisée, la 21ème conférence des parties a donc réuni 195 représentants issus de différents pays du monde dans un objectif commun de protection de l’environnement.  Un accord international sur le climat applicable à tous les  pays a été alors validé par  tous  les participants fixant comme objectif une limitation du réchauffement mondial entre 1,5 degré et 2 degré d’ici l’année 2100. 

 

 

 

                             1.1.2.3.1 - La 6ème  extinction du vivant en cours menace notre survie même 

 

L’activité humaine  transgresse aussi un certain nombre de seuils de renouvellement du vivant par la déforestation, la chasse, la pêche et  la pollution du biotope et nous mène tout droit  à une sixième extinction des espèces et à notre propre mise en danger directe en tant qu'espèce. Dans une publication scientifique récente de mai 2017 Gerardo Ceballos et ses collaborateurs [6] ont conforté et amplifié les constats et prévision déjà faits par eux en 2015. « La réelle ampleur de l’extinction de masse qui touche la faune a été sous-estimée : elle est catastrophique », jugent-ils. Au total, 32 % des espèces étudiées déclinent en termes de population et d’étendue. En près de 40 ans, 50% des espèces terrestres ont déjà disparu. 75% des espaces animales sont, d’après l’étude, en voie d’extinction  à plus ou moins brève échéance.  

 

 

 

Nous avons également dépassé un seuil d’acidification des océans qui menacent aujourd’hui la vie marine. D’autre part, la pollution des sols et les rejets écotoxiques menacent la santé des générations à venir et nous avons abusé de la déforestation. Ainsi, nous n’en finissons pas d’établir un inventaire des catastrophes en cours et à venir, malheureusement pas aussi poétique que celui de jacques Prévert.  



[1] ,  Marjorie Hope Nicolson ( Nicolson M. H., 1959, Mountain Gloom and Mountain Glory : The Development of the Aesthetics of the Infinite, Cornell University Press, Ithaca).

[2] Leopold, A. (1949). « Almanach d’un comté des sables ». Paris : Editions Flammarion

[3] Carson,  R 5 (1962) . « Silent spring »  Boston, Houghton Mifflin, 1962 (réimpr. Mariner Books, 2002) (ISBN 0-618-24906-0)

[4] Berque augustin : « Etres humains sur la terre », Paris Galimard, 1996).

[5] Source : Rapport écrit par le Global Footprint Network, réseau international de recherche qui calcule tous les ans depuis 1986, le jour où l’humanité commence à vivre à crédit.

[6] Gerardo Ceballosa,1, Paul R. Ehrlichb,1, and Rodolfo Dirzob : « Biological annihilation via the ongoing sixth mass extinction signaled by vertebrate population losses and declines »