TIM INGOLD : MARCHER AVEC LES DRAGONS

 Tim Ingold est un ethnologue anthropologue enseignant à Aberdeen en Ecosse. Il a eu une longue expérience de terrain avec les éleveurs de rennes en Laponie et  des aborigènes en Australie dont il a étudié les rêves  comme paradigme de l'art en tant que geste et comme parcours à travers les " chemins chantés ". Auteur entre autres d'un ouvrage  très original Une brève histoire des lignes (2007), trad. Sophie Renaud, Bruxelles, Zones Sensibles, 2011, Tim Ingold reste au plus proche de la trame sensible, ou vécue, de l'expérience, sans s'engager directement dans un propos structuraliste, ou objectivant.  Pour lui comme le dit Muriel Van Vielt " l'approche de l'art doit être essentiellement pensée d'un parcours sur un terrain, à la fois environnement naturel, biologique et espace symbolique culturel. Il pense sans rupture le passage de l'environnement naturel avec lequel interagit l'animal à l'espace symbolique culturel forgé par le rituel collectif au niveau culturel ".  "  L'ethnologue , pour Tim Ingold, doit vivre une expérience esthétique, se connecter avec le milieu, être en dialogue avec ceux qu'il observe et avec ceux auxquels il va transmettre ultimement cette expérience, ses étudiants, ses collègues, le grand public. "  

En suivant les lignes (traces, pistes, chemins, sentiers)  qui relient les espaces dans lequel il vit,  l'homme habite, parcourt et perçois autant un biotope qu'un espace symbolique, construisant ainsi un " territoire esthétique où l'individu se reconnaît responsable d'un écosystème et des valeurs d'un groupe culturel. "  

Dans le texte suivant, Tim Ingold  nous instruit à travers ses souvenirs d'enfance et son expérience ethnologique de terrain de la meilleure façon de transmettre une expérience esthétique et pragmatique de la nature susceptible de faire naître en nous une conscience éthique de nos responsabilités envers elle.  

"  Lorsque j'étais enfant, mon père, qui est botaniste, avait l'habitude de m'emmener marcher dans la campagne, attirant mon attention en chemin sur toutes les plantes et tous les champignons - particulièrement les champignons - qui poussaient ici et là. Il m'incitait parfois à les renifler, ou à goûter leurs différentes saveurs. Sa pédagogie consistait à me montrer les choses, à m'en signaler la présence. Si je remarquais les choses vers lesquelles il attirait mon attention, et reconnaissais les aspects, les odeurs et les saveurs dont il voulait que je fasse l'expérience parce qu'elles lui étaient chères, je pouvais alors découvrir pour moi-même une grande partie de ce qu'il savait déjà. Aujourd'hui, bien des années plus tard, je m'intéresse en tant qu'anthropologue à la façon dont les sociétés aborigènes d'Australie transmettent leur savoir à travers les générations. Et je réalise que le principe est exactement le même !   Quand le novice est mis en présence d'un élément de l'environnement et invité à y être attentif d'une certaine manière, sa tâche n'est alors pas de le décoder. Il lui faut plutôt découvrir par lui-même la signification qui s'y trouve. Pour l'aider à accomplir cette tâche, on lui fournit un ensemble d'autres clés, qui ne sont pas des codes mais des indices […]. Alors qu'un code est centrifuge et permet au novice d'accéder à des significations que l'esprit attache (" épingle ") à la surface extérieure du monde, l'indice est centripète, le guidant vers des significations qui se trouvent au cœur du monde lui-même, mais qui sont en temps normal dissimulées derrière la façade des apparences. Le contraste entre la clé comme code et la clé comme indice correspond à la distinction décisive, sur laquelle j'ai déjà attiré l'attention, entre le décodage et la révélation. Un indice est donc un point de repère qui unifie des éléments disparates de l'expérience, processus qui, à son tour, ouvre le monde à une expérience d'une plus grande clarté et d'une plus grande profondeur. En ce sens, les indices sont des clés qui ouvrent les portes de la perception, et plus vous disposez d'un grand nombre de clés, plus vous pouvez ouvrir un grand nombre de portes et plus le monde s'ouvre à vous. Je soutiens que c'est à travers l'acquisition progressive de telles clés que les hommes apprennent à percevoir le monde qui les entoure. […] "    " P60  Mémoire de Elise Roche   L'EXPERIENCE ESTHETIQUE DANS L'ART CONTEMPORAIN ECOLOGIQUE COMME MEDIATION  D'UNE ETHIQUE ENVIRONNEMENTALE

 

Grâce à ses expériences de terrain en tant qu'ethnologue des communautés d'éleveurs de rennes de Laponie, et avec l'aide de bon nombre de philosophes et d'anthropologues (Martin Heidegger, Gregory Bateson, Gilles Deleuze, Jakob von Uexküll, James Gibson, Charles Darwin, etc.), Tim Ingold déploie dans cette anthologie les lignes d'une pensée originale délimitant les territoires de l'évolution biologique et culturelle, les environnements humains et non humains, les royaumes de la pensée et de l'action, ainsi que les discours rivaux de l'art et de la science.

 

De la poétique de l'habiter à l'écologie du sensible, Tim Ingold plaide pour une réconciliation entre les projets de la science naturelle et ceux de l'éthique environnementale, pour un retour aux sources de l'anthropologie.

La conférence s’inscrit dans le projet de recherche « Prendre le parti des choses. Publications hybrides sur les processus de création » , dirigé à Ensadlab par Francesca Cozzolino (enseignante-chercheure, Ensadlab/ Lesc) avec la collaboration de Pierre-Olivier Dittmar (maître de conférences, EHESS, Techniques&Culture ), et le soutien de l’Université PSL dans le cadre du projet IRIS «Création, cognition et société».

 

Conférence en anglais modérée par Sophie Krier (Artiste, chercheuse associée à Ensadlab)

 

Synopsis

Traditionally, the disciplines of anthropology and art have faced in opposite directions: the former dedicated to understanding forms of life as we find them; the latter to the creation of forms never before encountered. This talk is founded on the premise that the traditional opposition is untenable. Not only would the work of art carry no force unless grounded in a profound understanding of the lived world; but anthropological accounts of the manifold ways along which life is lived would also be of no avail unless brought to bear on speculative inquiries into what the possibilities for human life might be. Thus art and anthropology have in common that they observe, describe and create. Their orientations are as much towards human futures as towards human pasts: these are futures, however, that are not conjured from thin air but forged in the crucible of contemporary social lives.

Their aim is to join with these lives in the common task of fashioning a sustainable world – one that is fit for coming generations to inhabit. By sustainability is not meant the maintenance of human environmental relations in a steady state, but rather the possibility for life to carry on. In such a world, the fashioning of things must also be their unfinishing, so as to allow every generation to begin afresh. With examples drawn from studies of landscape, craft, building and the performing arts, the implications of this view for the principles and practice of artistic and anthropological research will be discussed.

 

abdn.ac.uk/research/kfi/

knowingfromtheinside.org/

 

Counting Kolams workshop run by Ester Alemany and Alfonso Mulero, Aberdeen Botanical Gardens, Knowing from the Inside (KFI), 2017. 

Photos Emile Kirsch.